Synthèse de l'ouvrage "l'entretien clinique" de H. Bénony et K. Chahraoui (profs de psycho clinique et de psychopatho à l'U. de Bourgogne)
L'entretien est un outil irremplaçable en sciences humaines, en particulier en clinique.Il existe plusieurs approches, selon les modèles théoriques sous-jacents.
L'entretien clinique
En clinique, le sujet est considéré comme un être unique. L'entretien permet d'accéder aux représentations subjectives avec une visée de traitement ou de diagnostic.C'est une notion liée aux travaux de C. Rogers, psychologue humaniste américain, pour qui il faut aborder le sujet sans a priori théorique : "seul le patient sait où et comment il souffre".
Mener un entretien ne s'improvise pas. C'est un dialogue asymétrique entre un sujet et un professionnel (p.14). Il est donc lié à la fonction du clinicien, ce qui suppose une formation qui permet de prendre une certaine position dans le dialogue.
*L'entretien non directif : le clinicien pose une question et laisse le sujet s'exprimer. Il s'intéresse aux associations libres, à ce qui est dit et à la manière dont cela est dit, qui rendent compte du fonctionnement véritable du sujet. Ce qui peut être interprété comme de la froideur est en réalité une attitude clinique faite de respect et d'écoute bienveillante. Cela ne convient pas à certains patients.
*L'entretien semi-directif : le clinicien dispose d'une trame de questions en lien avec le thème de l'entretien. Il laisse le sujet associer librement sur le thème choisi.
*L'entretien directif : le sujet répond à des questions. Ce n'est pas un entretien clinique car il n'est pas centré sur la verbalisation spontanée.
C'est au psychologue de choisir et adapter suivant la situation et le sujet. Par ailleurs, l'attitude clinique relève d'une approche déontologique (respect, empathie...).
Dans l'entretien clinique, les informations sont véhiculées à travers le discours, le langage étant le lieu de la subjectivité, complété par les relances. Les informations sont également véhiculées à travers la communication non verbale (gestes, postures, mimiques).
Pour la psychothérapie, il existe différents modèles théoriques, à choisir selon la problématique. Le psychologue peut faire appel à la psychanalyse au plan théorique et au niveau technique (en utilisant l'attention flottante par exemple). Dans la psychothérapie brève d'inspiration psychanalytique, moins longue et plus accessible que les psychanalyses, l'accompagnement s'effectue en face à face et de façon limitée dans le temps. Cette situation est proche d'une situation d'entretien, et le discours se situe dans un registre conscient et rationnel. La fonction pédagogique et de soutien du thérapeute sont davantage sollicitées. L'approche phénoménologique est quant à elle la connaissance descriptive sans a priori des faits. "elle tente d'appréhender l'individu de manière globale en prenant en compte la signification de son vécu". Cette approche insiste sur la notion de communication qui doit s'instaurer. Dans l'approche rogerienne, il n'y a pas de directivité et un principe inconditionnel est l'acceptation: accepter le sujet tel qu'il est, ce qui nécessite pour le thérapeute d'accepter ses propres angoisses pour les percevoir chez autrui. Il y a là un paradoxe: c'est en valorisant autrui tel qu'il est maintenant qu'il peut changer. Dans cette approche, le thérapeute par son écoute attentive aide le patient à reformuler les données de son expérience, à les intégrer et à en prendre conscience. Rogers part du postulat qu'il existe chez tout un chacun un désir d'épanouissement sur lequel le thérapeute s'appuie. Dans l'approche systémique, issue des travaux de l'école de Palo Alto, on s'intéresse à l'approche familiale. Le trouble d'un membre de la famille tend à préserver l'équilibre familial. Le thérapeute doit faire trouver à la famille un autre équilibre. C'est l'objectif des thérapies familiales systémiques. Dans les approches comportementales et cognitive, le thérapeute met en oeuvre une démarche directive. Lors des thérapies comportementales, il cherche à soigner le symptôme pour le remplacer par un comportement adapté selon les lois du conditionnement. Lors des thérapies cognitives, on veut faire prendre conscience au sujet de ses pensées inexactes pour leur substituer des pensées positives.
Concernant l'efficacité thérapeutique des approches basées sur la parole, les études indiquent qu'il existe des facteurs communs de changement quelle que soit la technique thérapeutique. Les variables les plus déterminantes sont liées au client à 65% (nature du problème, attentes, qualité du soutien social, notamment) et au thérapeute à 25% (qualités personnelles, interpersonnelles, compétences). Les variables liées aux techniques thérapeutiques comptent pour seulement 10%. Des auteurs ont souligné le rôle du thérapeute dans le sens d'une influence interactive et le rôle des inférences.
Entretien clinique et évaluation
On utilise l'entretien pour s'informer sur la psychopathologie, identifier les problèmes et choisir les stratégies thérapeutiques les plus efficaces. L'entretien d'évaluation permet d'obtenir des informations sur le psychisme du sujet. Il peut être complété par des observations, des tests... Il peut s'agir d'un entretien libre (la personne s'exprime en laissant venir et se développer son activité associative), un entretien structuré (comportant consigne, thèmes et relances) et entretien semi-structuré (expression libre à partir d'une question ouverte et ponctuellement des questions précises).
L'entretien d'évaluation reste clinique mais l'approche d'investigation est "plus active, plus centrée, plus questionnant": "le clinicien est alors en quête de signes "insolites", ou de symptômes, ainsi que d'éléments précis et préétablis servant à catégoriser et à classer."...
L'entretien clinique est une relation spécifique qui permet l'écoute de la demande d'un sujet en souffrance à l'égard d'un autre. Le sujet est écouté sans jugement, pour lui-même, ce qui tranche avec ce qu'il expérimente dans ses relations de la vie quotidienne. C'est là tout l"intérêt de cette relation spécifique. Le psychologue doit encourager et soutenir l'expression, en sachant que le sujet ne peut ou ne veut pas toujours livrer ce qu'il pense.
L'évaluation s'effectue au plan symptomatique (la qualité du raisonnement, du jugement, la mémoire, l'imagination, l'attitude,...), au plan du fonctionnement intrapsychique (nature de l'angoisse, mécanismes de défense, processus de pensée, rêves...)....
Entretien clinique et recherche
L'entretien clinique est utilisé en recherche si l'on s'intéresse aux dimensions qualitatives, singulières d'un problème, à la manière singulière dont un individu le vit. Il sera nécessaire d'utiliser des méthodes plus standardisées (questionnaires, questions fermées / ouvertes) si l'on veut rendre compte plutôt de la représentativité d'une population.
L'entretien clinique de recherche est associé à un guide d'entretien qui peut comporter une consigne, identique pour tous les sujets, et des thèmes à aborder.
L'entretien clinique de recherche donne lieu à une interaction entre deux personnes. Il s'agira de prêter attention aux éventuels mécanismes de défense chez les sujets et la difficulté du contre-transfert (réactions inconscientes du chercheur qui peuvent interférer avec son interprétation) qui peuvent biaiser l'écoute et les résultats de l'étude.
A l'issue, les informations peuvent être analysées de façon qualitative ou pragmatique.
Ce qui est mobilisé dans l'entretien clinique
Dans l'entretien clinique, au delà de la dimension objective du discours, des éléments moins perceptibles influencent la conduite de l'entretien et la relation clinicien / patient. Ce sont des mécanismes psychologiques conscients et inconscients dont certains ont été décrits par la psychanalyse:la demande, la projection,le transfert...
Le contre-transfert désigne les réactions inconscientes du clinicien à l'égard de son interlocuteur, dont le discours peut lui rappeler quelque chose que lui-même a vécu et qui vont aussi lui permettre de mieux comprendre son patient. Dans l'entretien clinique, il désigne "un mode de réponse interpersonnel dépendant d'une caractéristique de personnalité". Certaines manifestations contre-transférentielles peuvent influencer le cours de l'entretien. C'est le cas de l'anxiété qui peut s'exprimer chez le clinicien dès lors que le patient évoque un souvenir traumatique que lui-même a déjà vécu. Il importe donc que le thérapeute soit au clair avec sa propre problématique et qu'il ait pris de la distance avec ses difficultés, afin notamment d'être calme et serein par rapport aux problèmes d'autrui: le patient a "besoin d'une attitude neutre et sécurisante pour résoudre son problème". De la même façon, si la bienveillance est nécessaire, elle ne doit pas être une attitude charitable qui place le sujet dans une position inférieure et ne résout rien. Le clinicien doit également être au clair avec ses références sociales, culturelles, idéologiques: les préjugés et a priori ne doivent pas être une barrière à la relation et à la compréhension du fonctionnement du patient.
Pour ce qui est de la notion d'empathie, elle constitue le pivot de la thérapie pour C.Rogers dans le cadre de la conception humaniste de psychologie. Il s'agit de comprendre l'autre sans porter de jugement, lié à la peur du changement. Le terme d'empathie est surtout utilisé en psychologie, moins en psychanalyse. Enfin, l'identification qui consiste à se aller à sentir ce que pense le sujet: "une tentative de ressentir intuitivement sa sensibilité c'est à dire d'imaginer :" que pourrais-je faire si j'étais lui pour résoudre ce problème?". L'écoute décentrée et empathique du clinicien favorise en retour l'identification du sujet et l'incite "à désirer (par identification) le calme, à apprécier l'interrogation positive centrée sur soi, le mouvement d'intériorité bénéfique ressenti dans ce contact (...)".
L'empathie semble constituer un des critères de réussite de la psychothérapie : "les travaux montrent que ce sont les patients ayant ressenti leur thérapeute comme chaleureux et proche de leurs préoccupations qui connaissent les améliorations les plus nettes."
L'entretien clinique avec l'adolescent
Les auteurs soulignent l'importance de la qualité du contact lors des premiers entretiens. Ces derniers peuvent être thérapeutiques dans la mesure où l'adolescent fait l'expérience que quelqu'un peut l'écouter, que ce qu'il raconte est pris au sérieux. Cela lui permet de ne plus se sentir seul et d'avoir moins honte de ce qu'il ressent. Il est également souligné l'importance d'une relation de confiance avec le psychologue qui doit l'assurer de la confidentialité des informations échangées. En outre, le psychologue clinicien se doit de relier le fonctionnement psychique de l'adolescent aux interactions familiales: "L'évaluation de la qualité des interrelations familiales et sociales permet une meilleure compréhension de la psychopathologie."
Personnalité et entretien clinique
Les auteurs soulignent l'importance pour le clinicien de connaître les organisations psychiques normales et pathologiques (p.100 à 102) et qu'il prenne en compte le fait que la personnalité pathologique oriente l'entretien de façon spécifique. ...
Formation à l'entretien clinique
Les auteurs soulignent l'importance d'une formation théorique et pratique pour le clinicien. Cela nécessite en particulier un engagement dans la pratique puisque "la complexité de l'entretien est liée pour une grande part aux aspects subjectifs qui se déploient dans la relation entre les deux interlocuteurs". La maîtrise de l'entretien qui permet de comprendre, d'analyser et de s'identifier de manière empathique à l'autre tout en gardant une distance, ne s'acquière qu'à partir d'un engagement personnel dans la conduite d'un entretien. Au delà des aspects théoriques, les aspects pratiques de la formation sont primordiaux. Il s'agit de développer trois attitudes essentielles: " la capacité de s’identifier de manière empathique au patient, la capacité de garder une bonne distance par rapport au problème du patient et celle de maîtriser ses différentes interventions de manière à ce qu'elles soient les plus justes possible."
Il existe différentes méthodes de formation: discussion de cas en petits groupes d'étudiants (p.116), jeu de rôle qui permet notamment de se mettre à la place de l'autre et de développer la capacité d'entrer en relation avec l'autre et de le comprendre, l'analyse d'entretiens enregistrés ou filmés.
Marie Risterucci, Psy EN
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