vendredi 7 mai 2021

Synthèses et extraits du dossier consacré au harcèlement scolaire dans le Journal des Psychologues n°382 (novembre 2020)

Dans l'article "Les obstacles au traitement du harcèlement scolaire", Marie Quartier, Professeure agrégée de lettres modernes, et Jean-Pierre Bello, Professeur de philosophie, nous indiquent qu'il n'y a pas de profil type de victime ou des auteurs. Les élèves victimes sont comme les autres et considérer qu'ils sont pour quelque chose dans ce qui leur arrive peut les amener à se sentir coupable d'être ce qu'ils sont, cela revient à adopter le point de vue des persécuteurs. De la même façon, considérer l'existence chez l'intimidateur d'une intentionnalité ou de traits de personnalité risque d'induire un sentiment de méfiance. Et considérer que les pairs sont neutres, risque de nous inciter à ne pas les solliciter pour résoudre le problème. Par ailleurs, le rôle du groupe est important. Les trois caractéristiques du harcèlement scolaire renvoient à ce rôle : la répétition qui n'est jamais le fait d'un seul élève, la disproportion des forces qui puise son origine dans le groupe (logique du tous contre un) et l'incapacité à se défendre par soi-même (poids du groupe). Lors de l'intervention, on évitera d'accabler l'élève victime en lui donnant des conseils pour l'inciter à se comporter autrement car alors on le rend implicitement responsable de la situation : "il ne s'agit pas de savoir si l'élève cible a des torts, mais de prendre en considération sa souffrance sans la minimiser, sans la considérer comme normale et relevant de gamineries ou d'apprentissages sociaux inévitables". Il importe d'offrir à l'élève une relation d'alliance en le prenant au sérieux par une écoute attentive, respectueuse, dénuée de jugement mais aussi de se montrer fiable, disponible, discret. Et d'accompagner l'élève aussi longtemps que nécessaire. Pour ce qui est des auteurs, la sanction n'est pas toujours la solution dans la mesure où elle peut renforcer la cohésion du groupe des intimidateurs. Les auteurs citent trois méthodes ayant fait leurs preuves, toutes non blâmantes: Préoccupation partagée, Farsta, No Blame approach. L'intervenant doit se montrer inquiet pour la cible et décidé à faire cesser les brimades : "une savante alliance entre un accueil très courtois et une fermeté". Un posture trop inquisitrice pourrait amener les auteurs à se méfier et les empêcher de s'associer à la fin des brimades. Pour finir, les auteurs présentent la méthode de la préoccupation partagée qui comporte 4 phases: la rencontre avec la cible pour lui offrir une relation d'alliance, les rencontres individuelles avec le / les intimidateurs qui ont pour but de les amener à partager la préoccupation pour la cible et chercher avec eux à trouver comment l'aider, d'autres rencontres avec la cible pour renforcer la relation d'alliance et faire un suivi, des rencontres de suivi sur plusieurs mois. 

Un article de Nicole Catheline, pédopsychiatre, intitulé "Conséquences psychopathologiques et relationnelles du harcèlement entre enfants", s'intéresse aux conséquences du harcèlement et à l'importance de la prévention. En Europe, la prévalence du phénomène est de 25%. En France, l'ampleur du phénomène n'est pris en compte que depuis une dizaine d'années. Les publications et campagnes ministérielles ont permis une baisse. Il s'est opéré une prise de conscience de la gravité du harcèlement sur une personnalité en développement avec des conséquences parfois durables, quel que soit le type de violence subit. L'autrice souligne le rôle du groupe dans ce phénomène qui peut être considéré comme "un échec de la dynamique de groupe", ce qui amène à proposer des actions au sein des groupes d'enfants. C'est d'autant plus pertinent que les séquelles peuvent concerner aussi bien la victime que harceleurs et spectateurs. Ensuite, l'autrice nous rappelle qu'il n'existe pas de signes spécifiques permettant de repérer ces phénomènes. Le seul moyen est donc de poser la question à l'enfant puis de le protéger "en l'assurant que les adultes vont se concerter immédiatement pour prendre les décisions qui s'imposent, mais que rien ne sera fait sous le coup de l'émotion."  Toutefois, il existe des signes à repérer chez la victime, notamment un changement brutal de comportement ou d'humeur, sans mettre tous les signes sur le dos de la "crise d'adolescence". S'il y a moins de symptômes chez le harceleur, cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de conséquences pour lui, liées notamment à l'adaptation sociale. Chez les spectateurs, ces signes peuvent être observés. L'autrice fait ensuite un point à propos des conséquences. Pour les victimes, la scolarisation est quasiment toujours impactée puisque le stress traumatique causé altère les fonctions cognitives (mémoire, concentration, capacités d'abstraction). Par ailleurs, le risque de déscolarisation est majeur. Des enquêtes montrent qu'il y a environ 30% d'enfants harcelés parmi les refus et phobies scolaires. Le harcèlement, comme tout stress, impacte également la santé mentale : somatisations, sentiment de honte, repli sur soi, état dépressif, idées suicidaires: "le risque de tentative de suicide est multiplié par quatre chez les enfants qui n'ont pas bénéficié du soutien des adultes parce qu'ils n'ont pas parlé de leurs problèmes ou parce que les adultes pensent qu'ils doivent apprendre à se défendre seuls. A long terme, le harcèlement a été identifié comme l'un des stresseurs les plus fortement associés aux comportements suicidaires chez les adolescents et cela de nombreuses années après les faits". Des études ont également montré une augmentation de la probabilité de présenter une dépression ainsi qu'une tendance plus forte à consommer du cannabis et de l'alcool, à l'âge adulte. Ainsi, lorsque il n'y a pas de prise en compte de la situation pendant l'enfance, le harcèlement aurait des effets à long terme. Du côté des harceleurs, les exclusions successives peuvent impacter les résultats et leur donner une forme de statut, pouvant les enfermer dans un rôle social. Côté santé mentale, ils peuvent développer des conduites à risque et avoir plus souvent recours à l'alcool. Des études ont montré que les filles harceleuses développaient plus d'anxiété et de dépression mais aussi que cela pouvait constituer un facteur prédictif de la délinquance à l'âge adulte. Un lien clair a été établi entre les tueries perpétrées dans les établissements scolaires ("school shooting") et le harcèlement : 70% des auteurs avaient été harcelés longtemps et de manière grave: "il semble donc que la gravité des actes et surtout leur durée dans le temps soient les facteurs qui pèsent le plus à long terme sur les conséquences en terme de santé mentale et sociales." Pour les spectateurs, on peut observer notamment un développement de l'anxiété lorsqu'ils sont pris dans des conflits d'allégeance. Il est important selon le Dr Catheline, de préciser que ces conséquences n'apparaissent que lorsque la situation n'a pas été prise en charge. Les études souligne l'importance d'une intervention en population générale, étant donné la difficulté de repérage, et ce dès le plus jeune âge dans la mesure où le harcèlement est plus fréquent avant 15/16 ans. Un rapport de l'Unesco concernant 70 pays montre que si elle peut s'avérer couteuse, avec des résultats qui ne sont pas immédiats, la prévention est le seul outil réellement efficace à la condition qu'elle s'accompagne de la lutte contre l'ensemble des violences sociales: "la prévention du harcèlement scolaire nécessite un politique juridique forte concernant toute forme de violence." Les études montrent par ailleurs l'environnement scolaire et familial sont des acteurs de protection. Les différentes formes de violence étant liées, doit nous faire réfléchir à la prévention de la violence dès l'enfance. 

Dans l'article "Théâtre de l'opprimé et groupe multifamille : un dispositif de prise en charge original", trois psychologues cliniciens confrontés dans leurs pratiques au sein d'une unité de crise et d'hospitalisation pour adolescents à la problématique du harcèlement présentent un dispositif de prise en charge. Ils rappellent que le harcèlement est la seconde cause de suicide chez les adolescents, et que le suicide est la première cause de mortalité dans cette population. S'il n'existe pas de définition consensuelle pour le harcèlement, celle proposée par Dan Olweus (1993) est celle à laquelle se réfèrent la plupart des publications: "Un jeune est victime de harcèlement lorsqu'il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la par d'un ou plusieurs jeunes. Il s'agit d'une situation intentionnellement agressive, induisant une relation d'asservissement psychologique qui se répète régulièrement." Cinq critères sont habituellement cités : la fréquence, l'intensité, la répétition, la durée et la relation asymétrique dominant / dominé. Pour les auteurs, il faut par ailleurs prendre en compte deux éléments contextuels: l'adolescence et le phénomène de groupe qui jouent un rôle important dans ce phénomène à l'adolescence. Il importe de repérer et reconnaître la souffrance à travers les signes ayant trait au traumatisme et aux traces d'une relation d'emprise. Ce sont les mêmes signes que dans toute forme de violence: certains sentiments (honte, culpabilité par exemple), certaines propos ayant trait au masochisme moral et des processus psychiques comme l'identification à l'agresseur. Certains adolescents ont fait des tentatives de suicide, développent une "pseudo" phobie scolaire (puisque celle-ci est liée non à une phobie a proprement parlé mais au harcèlement), les troubles du sommeil, du comportement alimentaire, des angoisses, une dépression, notamment. Le repérage des situations est difficile, il se base sur l'observation de différents signes tels que les affaires oubliées, la chute des résultats,  la fatigue, les pleurs, etc. Le projet présenté est soutenu par la Fondation de France et Facebook (programme "fonds pour le civisme en ligne"). C'est un dispositif thérapeutique de prévention secondaire, pour des adolescents victimes. Il vient compléter les dispositifs de prévention primaire. Il s'agit notamment d'"apporter un soin groupal centré sur la socialisation, la restauration de l'estime de soi, le travail d'affirmation de soi et la résolution des conflits en groupe; permettant aux jeunes de progresser collectivement dans leur situation, d'appréhender la vie avec leurs pairs et la vie en société dans les meilleures conditions" mais aussi de proposer un accompagnement familial. Le dispositif combine le théâtre / forum, deux fois par mois, et la thérapie multifamiliale (groupe de parole), une fois par mois. L'association des deux outils fait l'originalité de la méthode. Idéalement, le jeune participe aux deux. Le travail de groupe est au centre du dispositif. Il s'agit de constituer un réseau d'entraide afin de "favoriser le partage d'expériences, de conseils, de réflexion et les échanges de ressentis entre les membres". Les discussions créent un sentiment d'appartenance. Le théâtre-forum ou "théâtre de l'opprimé" permet de comprendre et rechercher des solutions à partir de jeux de rôles. Il s'agit de faire vivre les émotions, d'analyser son fonctionnement dans les relations aux autres, de découvrir de nouvelles modalités relationnelles et, par ricochet, à restaurer les liens sociaux. Concrètement, les jeunes sont amenés à jouer des scènes conflictuelles, pas directement en lien avec le harcèlement mais transposables à de telles situations. Dans un premier temps, on veut instaurer un cadre sécurisant pour pouvoir aborder dans un second temps les contenus douloureux. Les jeunes se mettent en scène pour éprouver des ressentis difficiles et se confronter aux réactions des autres. Un temps d'échange est organisé à la fin de l'atelier. La participation aux ateliers permet de travailler le respect de son espace personnel, de trouver des ressources pour mieux affronter les situations complexes, de s'exprimer et de vivre des situations d'interaction enrichissantes avec d'autres adolescents. Il pourra ensuite les transposer à des situations de la vie quotidienne. Le groupe mutlifamille consiste à rassembler dans un contexte thérapeutique plusieurs familles concernées par la même problématique. C'est un groupe de parole sans thématique où les intervenants (pédopsychiatre et psychologue), invite les participants à échanger librement sur leurs préoccupations autour du thème du harcèlement. Il s'agit de créer un espace-temps pour se rencontrer et se parler. La famille sort de son isolement et le groupe devient un réseau d'entraide et de soutien à la parentalité qui permet de sortir de l'isolement social. Chaque membre peut observer comment fonctionne les autres familles et les parents peuvent écouter d'autres adolescents parler de leur vécu. l'ensemble de la famille devient active face aux évènements de vie de leur adolescent et les auteurs notent avoir observé une baisse de la détresse. Pour les auteurs, ce dispositif est particulièrement adapté à la problématique du harcèlement et gagnerait à être développé à plus grande échelle. 

Dans l'article intitulé "Cyberviolence, cyberharcèlement et cyberhaine: conséquences et facteurs de protection", Catherine Blaya, professeure est sciences de l'éducation, propose une définition de trois termes relatifs aux comportements indésirables de la communication en ligne. La cyberviolence correspond à "tout comportement hostile, agressif, méchant en ligne". Ce sont des violences ponctuelles peuvent prendre plusieurs formes et revêtir un caractère particulier (cybersexisme, revenge porn...). Le cyberharcèlement désigne des violences répétées qui s'inscrivent dans la durée et perpétrées en ligne. L'autrice souligne les caractéristiques particulières de ce type de harcèlement, qui se distingue du harcèlement traditionnel notamment parce que dans l'espace virtuel, les possibilités sont amplifiées et contribuent à donner un sentiment d'impunité et de toute-puissance. Les capacités d'empathie sont réduites, et la victime, ne connaissant pas son agresseur, a un sentiment d'impuissance accru. Le contenu peut enfin être relayé à l'envi. La cyberhaine fait référence aux violences liées à l'identité des personnes, à leur appartenance à une communauté (appartenance ethnique, religion, orientation sexuelle, genre...). Ces violences sont en augmentation. Les cyberviolences ont des conséquences graves (p40-41). Catherine Blaya évoque les conséquences mises en évidence par de multiples travaux de recherche. Par exemple, 21% des cybervictimes ont des scores de dépression élevés. Ces victimes peuvent adopter des comportements autodestructeurs, ont plus tendance à consommer des drogues et à souffrir d'insomnie. Des études montrent que cela est encore plus important chez les filles. L'autrice cite une étude longitudinale qui a montré que le bien-être général des victimes et des agresseurs est affecté à long terme de façon plus importante en cas de cyberharcèlement que de harcèlement classique. Ces évènements impactent également la scolarité: difficultés de concentration, absentéisme... En ce qui concerne les élèves victimes de cyberhaine, des études montrent qu'ils sont plus susceptibles d'adopter des comportements addictifs. Les plus vulnérables sont les jeunes des minorités sexuelles. Les jeunes transgenres sont particulièrement à risque. La victimisation homophobe semble affecter davantage des garçons. Pour la cyberhaine basée sur des critères d'appartenance ethnique ou religieuse, le cyberespace agit comme une loupe et amplifie la dissémination des contenus haineux. Les effets négatifs sont certains, aussi bien pour la victimisation indirecte (exposition) que directe. Les témoins peuvent éprouver des émotions violentes et se sentir honteux. Les jeunes qui cumulent plusieurs caractéristiques physique ou sociales qui les distinguent des autres sont plus à risque de harcèlement. Par exemple, des études montrent que les jeunes qui appartiennent à une minorité sexuelle et ethnique ont plus de difficultés: ils subissent des discriminations de la part des autres groupes et à l’intérieur même de leur communauté. Parmi les facteurs de protection, des études montrant qu'il y a le soutien social, notamment celui des pairs qui influence le niveau de satisfaction et de bien-être subjectif. La protection du groupe de pairs est l'un des facteurs de protection les plus efficaces, avec le soutien familial. Le style parental, notamment en terme de soutien émotionnel, est un facteur protecteur aussi bien pour la perpétration que pour la victimisation pour le cyberharcèlement et la cyberhaine. La médiation parentale des activités en ligne, quand elle est seulement restrictive n'est pas efficace pour le prévention: "Un équilibre entre éducation à un usage éthique et sûr et le contrôle semble mieux porter ses fruits". Par ailleurs, il existe un lien entre harcèlement scolaire et cyberharcèlement. Le climat scolaire joue un rôle. Des règles claires, justes, le soutien des adultes sont des facteurs de protection. Des actions de formations en direction des adultes sont nécessaires. L'autrice fait aussi référence aux rôles des psychologues scolaires pour la prévention et l'accompagnement des victimes et des parents qui ont besoin d'être orientés et guidés. Elle estime que les psychologues scolaires devraient être impliqués dans l'élaboration des protocoles de prise en charge des situations. Ils peuvent jouer un rôle d'interface entre les différents acteurs. Mme Blaya conclue sur l'importance des facteurs de protection et de la prévention. il s'agit notamment d'inciter les jeunes à se confier et de promouvoir des stratégies de coping positives. Le soutien des adultes est important. 

Par Marie Risterucci, Psy EN