Je vous propose un focus personnel sur quelques aspects du livre, ouvrage bien plus riche que les éléments que je vous expose ci-dessous.
Ainsi, après une mise en perspective historique, la première partie ( "le sacre de l'apprenant") nous présentera les théories d'Ivan Illich , qui prônait la déscolarisation de la société (Une société sans école, ouvrage de 1971). Pour les auteurs, ses thèses ont été formellement démenties par un "toujours-plus" d'écoles et de formations, mais sur le fond elles semblent avoir triomphées par la mise en place d'objectifs au service du développement de l'individu, par ses propres activités, et non plus dans le cadre d'une transmission normée au service de l'état et de la société. À noter que la thèse d'Illich repose sur une impressionnante prescience de la notion de réseau, appliquée à l'éducation, qui préfigure ce que l'on connait aujourd'hui à travers l'essor du numérique.
Dans une seconde partie, "résistances de la transmission", les auteurs vont examiner la persistance de la transmission, notamment familiales, à cette occasion ils mettent en avant les travaux de Pierre Bourdieu, et la notion notamment de transmissions cognitives, pour eux la moins explorée et pourtant la plus cruciale. Ainsi, au-delà d'un bagage culturel ou de codes sociaux, certains enfants peuvent acquérir auprès de leur famille les méthodes et les outils du travail intellectuel. Ce constat amènera P. Bourdieu & François Gros (biologiste) à demander dans un rapport de 1989 à ce que l'école livre méthodiquement et explicitement la "technologie du travail intellectuel" (usages de fiches, des abréviations, techniques de recherche documentaire) et les méthodes rationnelles de travail (choisir entre les tâches imposés, les distribuer dans le temps) implicitement exigées par l'ensemble des tâches scolaires, mais qui sont parfois transmises au sein du milieu familial.
La troisième partie, intitulée "comment apprend-on ? théories et débats" permets de mettre en avant l'influence très importante de la notion de récapitulation, inspiré par les théories du biologiste Haeckel et par le darwinisme, qui postule que les processus d'apprentissages "rejouent" les étapes du développement intellectuel de l'humanité à travers les âges, à l'instar de l’ontogenèse par rapport à la phylogenèse en biologie.
Ce type d'idée sous-tendra la démarche de Jean Piaget, qui appliquera les méthodes de l'épistémologie aux développement intellectuel chez l'enfant.
Les auteurs vont alors critiquer de manière assez vigoureuse l'influence de Piaget (ni psychologue ni pédagogue mais responsable d'institution internationale dans le champ de l'éducation) en l'opposant notamment à Lev Vygotski, malgré la tentative d'un certains nombre de chercheurs et d'intellectuels de concilier les approches des deux savants. Ils se proposent de "durcir" au contraire les différences pour mieux insister sur l'héritage de Vygotski (co-construction, acquisition médiatisée par la culture, etc.) par rapport aux "excès" de l'héritage de Piaget (développement endogène de la pensée par étapes, sans apport extérieur, les apprentissages découlant du développement intellectuel, alors que Vygostski promeut au contraire le rôle de l'acquisition médiatisé, de l'extérieure, qui engendre et permet un développement).
Au sein de la quatrième partie ("pour une phénoménologie de l'apprendre"), les auteurs abordent la notion du langage, à travers notamment l'idée que l'on ne cesse jamais d'apprendre à lire, écrire, compter, car le développement des facultés engendre l'accès à des niveaux supérieurs de compréhension, de manière infinie. Ceci est toujours examiné dans le cadre du débat entre la transmission et l'apprentissage, entre la biologie et la culture, notamment rapidement illustré dans l'ouvrage par les travaux de Stanislas Dehaene sur la lecture.
Enfin la quatrième partie, intitulée "Faut-il encore apprendre à l'heure d'internet ?" est l'occasion pour les auteurs de s'opposer frontalement aux thèses de Michel Serres, et plus globalement aux attitudes et discours béats sur les digital natives et l'éventualité d'une transmission qui ne serait plus nécessaire, ceci à l'appui de la thèse développé tout au long de l'ouvrage, qui constate une victoire sans appel de l'"apprendre" sur la transmission mais qui souligne la nécessité de repenser cette notion afin de la délivrer des "mythologies de divers ordres dans lesquelles elle est enfermée".
En bref: Un livre qui mérite que l'on dépasse l'image qu'il semble projeter au premier abord (genre c'était mieux avant...) et qui au-delà de son propos fort intéressant vaut également pour ses nombreuses références de bas-de-pages et les figures intellectuels diverses ( Spencer, Kieran Egan, S. Pinker, etc.) que les auteurs convoquent tout au long de l'ouvrage dans le cadre de leur réflexion, ce qui permet d'avoir un aperçu assez rapide des thèses et idées soulevées par les uns et les autres.